Carnets d’Amérique du Sud (1972-1973)

Un amour imparfait

John Hopkins

Trad. : Claude Nathalie Thomas et Hélène Nunez

Editions de La Table Ronde (2005), coll. La petite vermeille, 2018, 362 p., 8,90 €

Mes lectures de La Table Ronde

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4e de couv. :

«J’éprouve la nécessité de repartir en Amérique du Sud, afin de renouer avec les planches», notait John Hopkins dans son journal en 1971. Ce retour sur «scène», il l’accomplira dès l’année suivante, et tout au long de 1973, avec Madeleine van Breugel, en descendant du Mexique vers le sud du continent.
Exilé volontaire, voyageur, nomade, Hopkins ne s’en montre que plus écrivain, faisant œuvre de tout ce qui advient au cours du périple. Qu’il s’agisse des êtres, des lieux, des événements de hasard et de rencontre, ou de la lancinante imperfection de son amour pour sa compagne, c’est son regard unique, doux et mordant, qui fait la puissance de ces carnets, habités d’une irrésistible poésie.

Mon Billet :

Auteur né en 1938, à Orange aux États Unis. Je découvre John Hopkins, dont le nom ne m’est pas inconnu sans toute fois l’avoir encore lu.

Si vous me  suivez, vous savez que j’aime lire les journaux intimes ou carnets d’écrivains. Alors que je suis lectrice de fiction j’aime aussi découvrir les origines des textes. Je suis gâtée avec les éditions de la Table Ronde et La Petite Vermillon pour la réédition en version poche. Même si je me doute que les textes sont retravaillés avant de paraître il y a un côté authentique de l’instant, à la différence de la biographie qui est un regard en arrière de l’auteur (quand c’est lui qui l’écrit).

Dans ces « Carnets d’Amérique », on est aussi dans l’intime qui peut influencer l’écriture et un témoignage d’un temps à l’instant T.

John Hopkins (34 ans) et sa compagne (31 ans) on quitté Marrakech où ils ont vécu les derniers 18 mois. Lorsque débute ce voyage en Amérique centrale, on sent l’influence de ce temps passé au Maroc. Il nous explique aussi dans quelle situation se trouve sa compagne avec le sentiment que « tout peut basculer » d’un moment à l’autre. Alors qu’il était dans ses intentions de se poser et retravailler un roman, le voilà parti pour se déplacer. Il est beaucoup question de  mouvement et d’observations. Son nomadisme n’est pas un besoin d’aventure,  c’est comme s’il était un éternel insatisfait.

p.29 « les émotions deviennent dangereuses lorsqu’on  cherche à y échapper »

C’est un écrivain au regard aiguisé. D’entrée il détaille les pélicans ce qui n’est pas anodin car il va l’intégrer à l’un de ses romans, et ce n’est qu’un premier élément. Il y a une grande présence d’oiseaux dans ces carnet. Comme eux il est resté sur le qui-vive tout le long de ce voyage.

Ce que j’ai trouvé intéressant c’est que l’on suive jour après jour grâce aux dates et lieux indiqués mais aussi le prix des transports, des hôtels et des restaurants.

La question que je me suis posée en commençant cette lecture était « A qui s’adresse t-il ? », en effet il explique des choses sur ses différentes observations, il y a des références historiques, des méditations. Ce sont bien plus que des notes pour d’éventuels autres écrits. On a bien l’impression qu’il a toujours été dans son intention de le publier. Il dévoile des choses qui concerne sa compagne, je suppose qu’elle était consciente en vivant avec lui qu’elle allait perdre un peu de son intimité, je pense en particulier à sa fille dont elle a perdu la garde pour vivre avec  John Hopkins… Il est respectueux, c’est vrai que c’est particulier ce côté « personnage publique ».  L’épilogue répond un peu à mes interrogations.

p. 208 « Ce qui m’intéresse à présent, c’est la logique, la logique des événements qui aboutit à une conclusion inévitable. La logique du personnage qui le mène de façon inéluctable… l’influence logique implacable du paysage et des autres forces sur le déroulement de l’intrigue. Cette logique ne sautera peut-être pas aux yeux au premier abord mais à la fin du livre, lorsqu’il y réfléchira, le lecteur devra conclure le livre dans lequel toutes les forces convergent pour aller dans le sens d’une destinée tracée dès la toute première page. »

Je ne vais pas avoir l’outrecuidance de dire que j’aurais écrit cela mais ce que je ressens parfois lorsque je réfléchis sur un livre que je dois chroniquer. J’ai ressenti tout au long de ces carnets des correspondances avec mes propres pensées. A d’autres moments il m’a agacé en tant qu’homme écrivant en 1972-73.

Dans ce genre de récit c’est aussi un témoignage sur une époque, même si bien sûr il est subjectif. Il est conscient aussi de l’impact que produit le fait qu’il soit un touriste américain.  Il vit avec son temps même s’il prend des chemins de traverse.

Ces écrits sont la somme de réflexions sur sa vie et celle de sa compagne mais aussi sur les pays qu’ils traversent, leurs rencontres et découvertes… 

Le sous titre donné à cette version française donne à ces carnets un sens supplémentaires car en effet John et Madeleine vivent un amour imparfait.

Il y a des choses qui sont toujours d’actualité et d’autres qui sont propres à ces années là.  Il parle du rôle de la CIA , des événements comme au Chili, ceux du Brésil, Nicaragua, il n’est pas forcément dans le pays en question mais il est à l’écoute des informations qui circulent.

p. 209 « 24 décembre, 10 heure du matin. / Abasourdi par les nouvelles à la radio qui annoncent qu’un tremblement de terre a dévasté le Nicaragua. Managua est détruite, en ruine.  Le Gran Hôtel, où nous avons séjourné il y a deux mois presque jour pour jour, n’est  plus qu’un tas de gravats. Les oiseaux perchés en attente sur la façade du teatro étaient donc au courant. Ils savaient qu’une catastrophe allait arriver Ils étaient prêts à déguerpir à tout moment. »

Ces carnets sont composés d’anecdotes, d’extraits d’articles, de certains passages de correspondance, des avis sur des films et des lectures en cours. Il y a des notes sur l’avancement de son travail et aussi pour garder des idées, des descriptions de personnages, de situations et de lieux.

Petite Digression avez-vous des livres que vous voulez lire et qui attendent leur tour qui se rappelle à votre bon souvenir ? Moi j’ai par exemple «Au dessous du Volcan » de Malcom Lowry !!!

Le texte est émaillé de mots locaux et leur traduction ou en espagnol, ce qui ancre encore plus le lecteur en Amérique Latine.

J’ai beaucoup aimé les parties du voyage où il est au contact de la nature et des hommes. Même si l’alcool est toujours présent il est moins dans la représentation et les mondanités. Il est plus authentique, il observe et absorbe les paysages et les traces laissées par l’histoire. On voit la diversité des modes de vie d’un pays à l’autre. Par exemple au Surinam on est aux antipodes de Veracruz. C’est incroyable comme certaines choses ont peu évolué.

J’ai noté quelques références à ces carnets … il y revient très souvent, en voici juste 3 qui sont assez proche. Je pense qu’en tant qu’écrivain il s’interroge beaucoup sur l’acte d’écrire… jusque dans l’épilogue. J’ai trouvé très significatif le fait de trimbaler le manuscrit d’un livre dans tout ce périple.

p. 64 «  Ce journal m’aide, mais j’ai les nerfs en boule lorsque je ne travaille pas à un projet de grande envergure »

p.65 «  Pour l’instant, ce journal est un tant soit peu banal »

p.66 « elle appelle ce journal « mon livre de mots ».

Ces carnets intimes dégagent un certain mal être, au sein de son couple, au niveau de sa santé, sa quête du lieu idéal pour écrire et se poser. Il a un côté « je brûle la chandelle par les deux bouts », ce qui mets en évidence un part d’autodestruction, autopunition.

C’est un écrivain que j’ai envie de découvrir dans son œuvre de fiction.

Je remercie les Éditions de la Table Ronde et la Petite Vermillon pour cette découverte.

Article précédemment publié sur canalblog

Les Mortes-Eaux

Andrew Michael Hurley

Editions Denoël, mai 2016, 383 p., 21,80 €

Mes Lectures Denoël

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4e de couv. :

Angleterre, années soixante-dix. Comme tous les ans au moment des vacances de Pâques, la famille Smith part en pèlerinage avec quelques membres de sa paroisse. Ils se rendent dans une vieille bâtisse sinistre en bord de mer, sous la houlette d’un prêtre, le père Wilfred. Les Smith, des gens très pieux, espèrent en venant là obtenir la guérison de leur aîné, Andrew, déficient mental. Andrew, lui, part explorer les environs du sanctuaire avec son jeune frère. Au cours de leurs escapades, ils font la connaissance des villageois, qui ne cachent pas leur hostilité à l’égard des pèlerins et semblent se livrer à d’obscures activités nocturnes, sortes de rites païens censés guérir les malades.
Andrew Michael Hurley dresse une galerie de portraits tous aussi étranges et effrayants les uns que les autres, mélangeant de sinistres autochtones et des pèlerins aussi perturbés que perturbants, et signe ici un roman obsédant et ambigu.

Anecdote de lectrice :

C’est un livre que j’ai commencé lorsque je l’ai reçu et puis je l’ai posé à cause de son côté sombre… d’autres  romans sont venus se superposer et lorsque j’ai rangé ma PAL urgente, je l’ai découvert qui m’attendait. C’était le bon moment pour le lire, lorsque je devais le fermer mon esprit restait embourbé dans les méandres de ce roman psychologique où les lieux sont un reflet de l’âme.

Mon Billet :

Ce titre m’a immédiatement attiré, sa couverture avec un crayonné gris/ noir avec un effet de miroir avec la maison près de l’eau, ces arbres inversés, qui excite l’imagination. Je ne savais pas trop à quel degré de fantastique et d’horreur je devais m’attendre surtout après avoir lu l’avis de Stephen King : « Les Mortes-Eaux n’est pas seulement un bon livre, c’est un grand livre. Un roman Incroyable ». Je n’ai pas fait de cauchemar mais lorsque vous posez le livre, il vous hante, il vous reste une sensation étrange. On a vraiment hâte de connaître les tenants et les aboutissants. On s’enfonce un peu dans cette vase et cet obscurantisme ambiant.

Andrew Michael Hurley instille des touches d’angoisse. Avec subtilité il déploie son histoire qui nous transporte dans différentes époques. La pluie, la brume et cette campagne de bord de mer, humide et froide…

Le narrateur parle d’aujourd’hui et d’éléments de 1979 et 1976 et parfois plus anciens. Ils sont tous liés. Il y est question de fragments de vérité autour d’événements fondateurs qui ont eu lieu trente ans plus tôt.

Sur fond de religion catholique et de croyances païennes on va découvrir un groupe de gens à la limite fanatiques ou du moins psycho-rigides. Deux enfants sont au milieu de tout ça et vont vivre des choses très étranges à leur niveau.

Qui dit religion dans les années 70 en Angleterre dit bain de sang en Irlande, guerre de clan et traumatismes. Dans ce roman elle est juste évoquée.

C’est une histoire qui parle de mémoire et de deuil. On a un personnage qui est mort mais que l’on s’évertue à faire revivre en pensée, il est presque plus présent que certains protagonistes. On passe notre temps à nous demander ce que cela cache pourquoi le père Bernard en fait autant les frais. Ils essaient de faire revivre le père Wilfred en le comparant constamment à son successeur. C’est assez dérangeant. Mais le père Bernard va jouer le rôle de l’accoucheur pour leur faire sortir ce qu’ils ont sur le cœur, mais il y a des secrets qui devraient restés enterrés avec les morts ! Mais comment avancer avec des doutes ?

Qui était ce père Wilfred ? Un Saint, un sadique, un Mentor ou un menteur ?

En quête d’un miracle, tout va partir à vau l’eau, cela dérape,  un huis clos ou s’invitent des gens encore plus étranges… qui va perdre dans cette guerre des nerfs ?

Il y a un avant et un après… pour Hanni et Tonto tout particulièrement, ces deux enfants avec leur surnom vont finir par acquérir leur prénom après les événements. Eux aussi vont vivre avec leur secret. Leur vie sera changée à tout jamais après les événements de pâques.

Lorsqu’on arrive vers la fin de l’histoire, on se rend compte que certaines choses racontées au début ne sont pas aussi anecdotiques qu’on le croirait… c’était bien des pièces du puzzle que l’auteur avait mise en place…

Insidieusement Andrew Michael Hurley installe une ambiance délétère qui va nous tenir en haleine, où  la part du fantastique va  finalement culminer au fond d’une cave.

Ce roman parle des réflexes que l’esprit met en place pour surmonter les moments traumatisants. Il y est question de mémoire et  de révélations.

Les rôles dans une communauté sont bien définis, gare à ceux qui sortent du rang, parfois il vaut mieux fermer les yeux que perdre sa raison d’être ! Dans une famille aussi … Passez sa vie à dissimuler pour protéger l’autre, pour ne pas rompre l’équilibre.

Je n’irai pas jusqu’au coup de cœur mais en tout cas c’est un roman qui marque les esprits. Il hante.

Je remercie les Éditions Denoël pour leur confiance.

Denoel

Article précédemment publié sur Canalblog