Audur Ava Ólafsdóttir
Editions Zulma, oct 2017, 239 p., 19€
Cercle de lecture médiathèque
Dans ma médiathèque il y a…

Se décrivant lui-même comme un « homme de quarante-neuf ans, divorcé, hétérosexuel, sans envergure, qui n’a pas tenu dans ses bras de corps féminin nu – en tout cas pas délibérément – depuis huit ans et cinq mois », Jónas Ebeneser n’a qu’une passion : restaurer, retaper, réparer. Mais le bricoleur est en crise et la crise est profonde. Et guère de réconfort à attendre des trois Guðrún de sa vie – son ex-femme, sa fille, spécialiste de l’écosystème des océans, un joli accident de jeunesse, et sa propre mère, ancienne prof de maths à l’esprit égaré, collectionneuse des données chiffrées de toutes les guerres du monde… Doit-il se faire tatouer une aile de rapace sur la poitrine ou carrément emprunter le fusil de chasse de son voisin pour en finir à la date de son choix ? Autant se mettre en route pour un voyage sans retour à destination d’un pays abîmé par la guerre, avec sa caisse à outils pour tout bagage et sa perceuse en bandoulière.
Ör est le roman poétique et profond, drôle, délicat, d’un homme qui s’en va, en quête de réparation.
Ma chronique :
C’est le deuxième roman d’Audur Ava Ólafsdóttir que je lis. J’espère un jour combler mes lacunes.
« Rosa Candida » m’a beaucoup marqué et je pense que « Ör » est dans la même veine. Nous retrouvons un homme en proie aux doutes et de faiblesse qui à besoin de s’éloigner de sa vie.
Ce roman aborde plusieurs sujets dont les mathématiques, la littérature, la philosophie, et de cultures bien différentes.
C’est un narrateur à la première personne qui nous raconte les événements. On n’aura donc que la vision de Jonas sauf dans les dialogues.
C’est un roman sur la perte.
Gundrún n°1, sa mère est bloquée dans une boucle temporelle (elle oublie au fur et à mesure ce qu’elle fait et dit). Il perd le rôle de fils.
Gundrún n°2, sa femme a divorcé. Il perd son rôle d’époux.
Gundrún n°3, sa fille, il apprend qu’il n’est pas son géniteur. Il perd son image de père.
Il avait quitté ses études à la mort de son père et reprend l’entreprise familiale. Il est entré dans l’âge adulte.
Il vend cette entreprise. Il perd son rôle d’homme actif.
Il quitte son pays, l’Islande. Perte des repères, pertes de la langue (il parle anglais avec ceux qui connaissent cette langue).
Il n’a plus que la vie à perdre…
On retrouve notre personnage dans un pays en ruine. Là, la narration change. On voit un pays en creux comme dans un bas relief sculpté.. C’est ce qui manque qu’on nous montre. La guerre n’est plus, mais elle a laissé un silence assourdissant. Il manque les hommes, les infrastructures, les musées, les archives, les maisons, les familles. On aura le sang et les larmes mais sans le reflet des pupilles et des mémoires.
Jonas ne se sent plus en droit de mourir, il ne lui reste qu’à se reconstruire au fur et à mesure que l’histoire prend un chemin inattendu.
Il y a le côté « surréaliste » de cet homme qui part en voyage, en vacances avec sa boîte à outils.
Audur Ava Ólafsdóttir joue avec des dialogues de sourds :
« Qu’est que vous êtes venu faire dans ce pays » réponse : « je suis en vacances » ça tourne en boucle tant la réponse semble absurde qu’il ne soit pas là pour profiter de l’après-guerre. Un homme qui voyage avec sa perceuse électrique est suspect.
Et lui qui demande « où est l’entrée des thermes antiques de la ville » et la réponse est « on ne sait pas »
Il faudra que la confiance s’installe pour que les vraies réponses voient le jour.
Il en en bien d’autres situations étrangement comiques.
Le sujet pourrait être triste s’il n’y avait pas l’ironie du sort et un certain humour.
Exemple d’ironie du sort. On l’agresse et il aura la vie sauve parce qu’il n’a pas peur de mourir. Lui qui voulait se suicider n’arrive même pas à se faire tuer ! (fait partie du processus de renaissance).
N’allez pas croire que le personnage soit naïf parce qu’il n’est pas doué avec la vie. Lorsqu’il s’agit de défendre un projet et des femmes il sait se montrer persuasif.
Il ne suffit pas de laisser son passé derrière soi pour refaire sa vie et être heureux, on ne repart jamais de zéro. C’est un roman sur la deuxième naissance. Que va apporter cette renaissance ? Comment son entourage va prendre les choses ?
Au niveau narratif il y a beaucoup d’ellipses. Il y est question de fragments dans le fond et la forme reprend cette idée. Les chapitres se suivent et son simplement séparés par des titres tirées de citations ou qui nous donnent une idée de ce qui va suivre. On a toute une thématique sur les lieux souterrains « cave et les cartons », sous-sols et les « mosaïques antiques », les meubles dans l’entrepôt couvert de poussière, les tapis qui cachent les carrelages et les peintures. Il faut révéler se qui se cache à l’intérieur. Il commence par se faire tatouer un nénuphar à la place du coeur.
Ce roman est dans l’idée d’aller vers l’autre et accepter de le comprendre… cela implique aussi que l’autre veuille vous accepter.
Ce feel good nous montre qu’il n’y a pas d’âge pour trouver son vrai « moi ». C’est un roman de formation d’un homme adulte qui m’a beaucoup intéressé.
Article précédemment publié sur Canalblog